Une voix de la médiation s’est éteinte : Jacqueline Morineau nous a quittés dans la nuit du 14 au 15 juillet 2023


Jacqueline Morineau fut une compagne de route dans cette aventure de la médiation depuis la fin des années quatre-vingt et à titre d’hommage je reproduis le portrait que j’avais fait d’elle dans le numéro 9 de la Lettre des MédiationsJP Bonafé-Schmitt

JACQUELINE MORINEAU
LA PRETRESSE DE LAMEDIATION HUMANISTE

Dans cette galerie de portraits des pionniers de la médiation francophone que nous avons publiés
depuis le premier numéro de la Lettre des Médiations, Jacqueline Morineau, tient une place particulière (1). En effet, elle a été un des premiers acteurs de la médiation en France, notamment dans le domaine pénal avec la mise en place du premier dispositif de médiation pénale à Paris avec la création de SOS Agressions Conflits en 1984. Faire son portrait, c’est aussi retracer l’histoire de la médiation en France, de ses origines, de sa diversité… car Jacqueline Morineau a marqué de son empreinte, non seulement le mouvement de la médiation en France, mais aussi à l’étranger avec sa théorisation au fil des années de ce qu’elle a dénommé la médiation humaniste (2)
.
D’une manière plus personnelle, faire son portrait, c’est aussi me replonger dans une histoire commune, car je connais Jacqueline Morineau, depuis la fin des années quatre-vingt. En fait, de connaissance, c’est d’abord sa voix que j’ai entendue lors d’une émission de radio, sur France Inter oùelle relatait les premiers pas de SOS Agressions Conflits. J’ai très vite rencontré Jacqueline Morineau lors d’un de mes déplacements à Paris pour nous informer mutuellement sur nos expériences, car je venais juste de fonder, à partir des Boutiques de droit, une association de médiation de quartier qui allait devenir, en 1986, l’association AMELY (Association Médiation Lyon). Depuis cette date, j’ai gardé un lien avec Jacqueline Morineau et, ce qui explique que ce portrait soit empreint d’une forte subjectivité et sympathie à l’égard de Jacqueline Morineau et de son action en matière de médiation ; Et ceci même, si je ne partage pas toujours la vision spirituelle et même religieuse qu’elle a de la médiation.
Cela dit, il convient de rappeler qu’à l’époque de notre rencontre, c’est-à-dire la fin des années
quatre-vingt, c’était la préhistoire de la médiation, et Jacqueline Morineau avec SOS Agressions
Conflits, fut une des pionnières de la médiation au même titre que les Boutiques de Droit à Lyon,
ACCORD à Strasbourg, l’ARESCJ à Bordeaux, AIV à Grenoble….

De la révélation…à l’action.
Pourtant si l’on se réfère à son parcours de vie, rien ne prédestinait Jacqueline Morineau à être une des pionnières de la médiation car à la suite d’études en archéologie, elle s’est spécialisée dans la numismatique grecque et a été chercheur au British Museum à Londres. Si c’est par le plus grand
des hasards, comme elle le dit si bien, qu’elle est venue à la médiation, elle le doit surtout à une
rencontre, celle avec Jacques Vérin, un magistrat qui occupait la fonction de directeur du service de la
recherche du ministère de la justice. C’est à la demande de Robert Badinter, qui était devenu le ministre de la Justice sous la présidence de François Mitterrand après son arrivée au pouvoir, en 1981, que Jacques Vérin fut envoyé aux Etats-Unis pour un voyage d‘étude dans la perspective de proposer des réformes pour « humaniser » la justice en France. Il s’agissait, à l’époque, de répondre à la fois aux aspirations des victimes en leur assurant une plus grande place dans le processus pénal et une meilleure indemnisation mais aussi de prévenir la récidive en favorisant la réinsertion des infracteurs. Cette nouvelle politique se concrétisa par la création en 1982 d’un bureau de protection des victimes et de prévention au sein du ministère de la Justice.
Si Jacques Vérin fut surtout connu comme un ardent défenseur d’une « politique criminelle humaniste », on ignore souvent qu’il a été un des pères spirituels de la médiation pénale comme en témoigne son article paru, en 1983, dans la revue de sciences criminelles et de droit comparé et intitulé « La médiation à San Francisco, New-York et Kitchener (Ontario) ». Cet article relate ce qu’il a pu observer lors de son voyage d’étude aux Etats-Unis et l’on retrouve les fondements qui donneront naissance à la première expérience parisienne de médiation pénale. Il rappelle que c’est à Kitchener, dans l’Ontario au Canada, que fut mis en place dès 1975, sous l’impulsion de l’Eglise mennonite, le premier programme de réconciliation entre victime et délinquant dénommé V.O.R.P. (Victim Offender Reconciliation Program). Dans ce même article, il relate le projet des Community Boards à San Francisco, mis en œuvre, en 1976 et dont la spécificité reposait sur la formation de bénévoles à la gestion des conflits. En retenant cette expérience et en participant lui-même à une séance de formation, Jacques Vérin a démontré qu’il était un véritable visionnaire, car quelques années plus tard San Francisco allait devenir « La Mecque » de la médiation en devenant la référence incontournable pour la plupart des pionniers de la médiation dans le monde entier. De son côté, Jacqueline Morineau a fait une courte formation à la médiation au sein des Community Boards, car elle a rapidement réalisé que les sources dans lesquelles elle pourrait puiser pour réaliser ses médiations, relevaient plus de son expérience de la tragédie grecque, comme elle l’a exposé dans son premier ouvrage, l’ « Esprit de médiation » (5)
.
C’est à la suite de cette phase de réflexion au cours de l’année 1983 que le Garde des Sceaux, Robert Badinter, lança le premier projet de médiation pénale en France. Cette expérience fut pilotée par l’association SOS agression Conflits que Jacqueline Morineau fut chargé de créer en début d’année 1984 avec pour mission de réaliser des médiations pénales à partir d’affaires renvoyées par le Parquet de Paris. Il est intéressant de souligner que l’expérience commença avec des cas de violence venant de ma 7ème section du Parquet. Jacqueline Morineau a été la fondatrice de cette association qui allait donner naissance quelques années plus tard au CMFM (Centre de Médiation et de Formation à la Médiation). Mais pour bien comprendre cet investissement, pour ne pas dire cet engagement, de Jacqueline Morineau dans cette aventure de la médiation pénale, il convient de faire un retour sur son passé londonien.


Du pénal au scolaire : les prémisses de la médiation humaniste.
Lors de son séjour à Londres, Jacqueline Morineau, en parallèle à son activité professionnelle, s’est beaucoup impliquée dans un foyer d’accueil pour accompagner des jeunes en difficulté ou encore aider des sortants de prison pour se réinsérer dans la société. C’est au cours de ces activités qu’elle s’est rendu compte qu’elle avait une « relation naturelle », des « prédispositions à comprendre, à aider les autres » et ce sont ces expériences accumulées qui l’ont beaucoup aidée à construire sa manière de conduire un processus de médiation en matière pénale (6). En effet, comme beaucoup de pionniers de la médiation, Jacqueline Morineau, a été amenée à faire des médiations sans avoir été formée et elle a appris à faire une médiation en la pratiquant ce qui lui a permis de construire son propre modèle de médiation sur la base, notamment, d’un trinôme de médiateurs. A l’époque, ce modèle avait suscité de nombreuses interrogations pour ne pas dire critiques tout comme sa référence à l’Antiquité pour décrire le déroulement du processus de médiation. Et comme me l’a souligné « je n’ai jamais vécu de problèmes ou critiques de la part de la Justice qui était très satisfaite de notre travail ; ces critiques ont pu venir de la part d’autres médiateurs et dans ce cas étaient irrelevantes »
Si les débuts de SOS Agressions Conflits furent prometteurs, très vite, le contrôle de cettstructure et de la médiation fit l’objet d’une confrontation entre Jacqueline Morineau et un autre pionnier, pour ne pas dire père de la médiation, je veux parler de Jean-François Six. Ce dernier est prêtre et le fondateur de l’association Droits de l’Homme Solidarités et un auteur prolifique d’ouvrages religieux. Sa facilité d’écriture l’a amené à écrire, en 1990 un des premiers ouvrage sur la médiation,au titre prémonitoire, : «Le temps des médiateurs » (8). Dès le début de l’activité SOS Agressions Conflits, il relata rapidement l’intérêt de cette expérience de médiation pénale dans une des revues qu’il a créées (9) . Ce dernier, tout en n’ayant eu aucun rôle, selon Jacqueline Morineau, au sein de SOS Agressions Conflits proposa une fusion avec son association Droits de l’Homme Solidarités. Mais cette fusion fut refusée par les membres de SOS Agressions Conflits. Et à l’image des tragédies grecques, une situation d’opposition se créa entre Jacqueline Morineau Jean-François Six et provoqua la fin de SOS Agressions Conflits. L’association fut remplacée par la création du CMFM à l’initiative de Jacqueline Morineau et J.F SIX créa LE Centre National de la Médiation.
Si Jacqueline Morineau a été une des pionnières de la médiation pénale, elle a aussi joué un rôle de premier plan en matière de médiation scolaire, car dès le début des années quatre-vingt-dix, elle a
mis en place un programme de médiation dans un collège, un lycée et un LEP à Villeneuve-laGarenne puis à Gennevilliers dans la région parisienne. Un projet similaire échoua dans un lycée à Bayonne en raison de l’opposition des syndicats. Malgré ces difficultés, Jacqueline Morineau a persévéré dans son action en direction du monde scolaire en développant des projets de médiation par les pairs, non seulement en France, mais aussi à l’étranger. C’est notamment le cas, en 1994 quand elle proposa un programme d’éducation à la paix pour les jeunes adultes (18 à 30 ans) par la mediation au Conseil de l’Europe. ce programme perdura plusieurs années, notamment lors du conflit entre la Serbie et Kosovo où elle a organisé des rencontres entre jeunes Kosovars et Serbes.
C’est à partir de cette expérience accumulée sur le terrain que Jacqueline Morineau a théorisé sa pratique à travers l’écriture dans son premier ouvrage, au titre évocateur « l’esprit de médiation ». Comme son titre l’évoque, elle a voulu, à travers cet ouvrage, insuffler une certaine vision de la médiation et démontrer qu’elle n’était pas une simple technicienne de la médiation donnant des « recettes » pour réussir une bonne médiation, mais qu’elle voulait montrer « comment la médiation peut aider à transformer notre société »

Il est vrai que l’on retrouve en filigrane, dans cet ouvrage,les fondements de ce qui allait devenir un peu plus tard la médiation humaniste. C’est cette vision de la médiation et son action à travers le CMFM qui vont amener un certain nombre de centres de médiation, mais aussi d’universités en France comme à l’étranger, de la solliciter pour des formations et des conférences qui lui permettront de diffuser son modèle de médiation. Elle a enseigné de nombreuses années à l’université « la Bicocca » à Milan.


La médiation humaniste : dimension spirituelle de la médiation ?
Comme nous venons de le voir, Jacqueline Morineau n’est pas seulement une praticienne de la médiation, mais c’est surtout une visionnaire de la médiation. J’ai choisi à dessein le qualificatif de
visionnaire et non celui de théoricienne d’un modèle de médiation, car elle a toujours su insuffler à travers ses formations, ses conférences ou écrits, une vision singulière pour ne pas dire quasi religieuse de la médiation comme en témoigne le titre de son second ouvrage « le médiateur de
l’âme » (11)

C’est dans ce dernier ouvrage que Jacqueline Morineau retrace le cheminement qui l’a amenée à définir ce qu’elle a appelé la médiation humaniste. Pour elle, la médiation a pour objet « d’accueillir la souffrance pour qu’elle se transcende et ouvre la voie à un nouvel équilibre, à une harmonie vécue avec soi-même et les autres et pourquoi pas à une forme de bonheur » (12). Lors de notre entretien, elle m’a rappelé cette vision spirituelle qui puise sa source, selon ses propos, dans « la recherche philosophique de sagesse des anciens reposant sur la conception ternaire de l’homme : corps, âme et esprit » (13)

Dans un écrit plus récent, Jacqueline Morineau, confie que « je suis une convertie, et cela je l’ai découvert bien après avoir commencé à pratiquer la médiation » (14). C’est en effet, tardivement à 65 ans qu’elle à vécu une « conversion christique » et qu’elle a fait le lien avec « la dimension christique de la et qu’elle a fait le lien avec « la dimension christique de la médiation » et elle a été même étonnée de découvrir dans les évangiles combien la pédagogie du Christ était proche de la pédagogie de la médiation : « il donne la parole, il ne juge pas. Il ouvre la personne à découvrir une nouvelle connaissance d’elle-même, il la met sur un chemin. C’est cela la médiation» (15).


En dehors de Jacqueline Morineau, j’ai souvent été étonné par la connotation très religieuse de la terminologie utilisée par bon nombre de médiateurs. C’est le cas par exemple de l’expression « on
entre en médiation » pour signifier le début d’un processus de médiation comme si l’on entrait au
couvent. Il en est de même de ceux qui « croient en la médiation » comme si la médiation relevait
d’une croyance.
C’est en raison de sa quête existentielle permanente que Jacqueline Morineau a toujours tenu une
place particulière dans le monde de la médiation ou elle a aussi bien ses partisans, que ses
détracteurs qui voient en elle la « catho de la médiation » (16).

Il est vrai que la médiation a ses gardiens du temple et que toute déviance les amène, comme au temps de l’Inquisition, à brûler au nom des grands principes de la médiation, ces hérétiques. En effet, Jacqueline Morineau, s’est toujours tenue à distance des préoccupations de ceux qui veulent faire de la médiation, une nouvelle profession ou un nouveau mode de contrôle social, elle a toujours considéré que la médiation est porteuse de sens et peut contribuer à une transformation de la personne et des rapports sociaux. Selon elle, la médiation a été transformative dès son origine et bien avant que les américains en parlent.
Son discours, son prêche diront certains, n’est pas resté isolé, car elle a réussi au fil des années à
fédérer autour de sa conception de la médiation, un certain nombre de « fidèles » que ce soit au sein
du CMFM ou à l’extérieur notamment lors de ses stages de formation en France ou à l’étranger.
Cette vision partagée de la médiation à donner lieu à la création d’un collectif regroupé au sein du
Centre de Recherche sur la Médiation Humaniste qui s’est constitué sur la base des travaux d’un
colloque tenu en avril 2011 au Centre Sèvres dans la région parisienne. Ce collectif est à l’initiative de
la publication d’un véritable manifeste intitulé : « La médiation humaniste, pour ‘faire société’ dans la
prise en charge des différends » (17).

Dans ce document, les auteurs soulignent que « la médiation humaniste s’inscrit dans les prémices trans-modernes de la transformation sociétale en cours. Réintroduisant le sens d’une solidarité existentielle, fondée plus sur le partage que sur l’échange, elle se présente comme un outil d’éducation à la paix, pédagogique et civilisateur, pour un humanisme de notre temps » (18). Ce collectif composé aussi bien de médiateurs que de chercheurs de France ou d’Italie tend à démontrer qu’il existe au moins en France et en Italie, un courant qui se retrouve autour de cette notion de médiation humaniste et qui se différencie de son homonyme américain animé par Marc Umbreit qui est le fondateur du Center for Restorative Justice & Peacemaking de l’Université du Minnesota (19).
.
Tout cela tend à démontrer que Jacqueline Morineau n’est pas seulement une pionnière de la
médiation mais une véritable « figure » de la médiation et qu’au-delà de sa propre personne il convient
d’apporter une attention particulière au courant de pensée qu’elle a initiée : la médiation humaniste.

Jean-Pierre BONAFE-SCHMITT

Notes

1 Cf aussi le portrait de Jacqueline Morineau paru dans de numéro 3 d’Intermédiés de mars 2018
2 Morineau Jacqueline. La médiation humaniste, érès, 2016

3 Entretien avec Jacqueline Morineau du 19/12/2018
4 Vérin Jacques, « La médiation à San Francisco, à New York et à Kitchener (Ontario) », Revue de sciences criminelles et
de droit comparé, 1983
5 Morineau J. L’esprit de médiation, érès, 1998
6 Entretien avec Jacqueline Morineau du 19/12/2018

7 Entretien avec Jacqueline Morineau du 19/12/2018
8 Six Jean-François, Le temps des médiateurs, Seuil, 1990
9 Six Jean-François, Revue – Brèche cahier spécial n°40-42 : conflits, victimes, médiation, 01/01/1986
10 Morineau J. L’esprit de médiation, op. cit.
11 Morineau J. Le médiateur de l’âme. Le combat d’une vie pour trouver la paix intérieure, Nouvelle Cité, 2008
12 Ibdem
13 Entretien avec Jacqueline Morineau du 19/12/2018

14 Morineau Jacqueline. L’esprit de la médiation : un chemin d’humanisation réciproque dans le partage de nos valeurs
communes, Connaître, n°42 juillet 2015 ; Entretien avec Jacqueline Morineau. La Médiation Humaniste ,
https://www.youtube.com/watch?v=3VR51e_yThk
15 ibidem
16 Entretien avec Jacqueline Morineau du 19/12/2018
17 Delcourt Marie-Odile, Dupleix André, Escalettes Guy, Giasanti Alberto, Le Roy Etienne, et al.. La médiation humaniste,
pour ‘faire société’ dans la prise en charge des différends. 2015. ffhal-01171504f, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01171504
18 ibidem
19Umbreit Mark, Lewis Ted, What Is A Humanistic Approach to Mediation? An OverviewCenter for Restorative Justice and
Peacemaking, 2015

Portrait à lire sur https://www.observatoiredesmediations.org/Asset/Source/refBibliography_ID-128_No-01.pdf



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