
« Aujourd’hui, dans un contexte de “ghettoïsation” socioethnique de nombreux quartiers populaires en France, le champ de l’intervention sociale est particulièrement travaillé par des logiques d’ethnicisation et de racisation. En effet, comme l’ont si bien décrit plusieurs analystes, notamment Éric Maurin et Didier Lapeyronnie,de nos jours, à côté des “ghettos de riches”, il existe des “ghettos urbains de pauvres” qui se caractérisent notamment par « la concentration dans certaines zones urbaines de populations défavorisées, victimes d’une forte ségrégation et de discriminations raciales, populations qui ont fini par développer des modes de vie et une organisation spécifiques […]. Le ghetto suppose une ségrégation forcée et non choisie, imposée et non élective. Les habitants y vivent contraints, ne pouvant aller ailleurs tout en aspirant au départ » .
En effet, même si certains analystes réfutent l’idée que — par comparaison aux inner cities américaines — les cités périphériques populaires françaises puissent être associées à des “ghettos” puisqu’elles ne subiraient pas une double stigmatisation spatiale et raciale, si l’on s’en tient simplement à la définition sociohistorique du ghetto définie par Pierre Merlin, plusieurs quartiers que nous avons particulièrement étudiés en possèdent bien les quatre caractéristiques essentielles : il s’agit d’un espace urbain imposé par le pouvoir à une catégorie de population, un lieu ethniquement homogène, stigmatisé de l’extérieur et au sein duquel il existe la constitution d’une microsociété interne.
Ainsi, dans cette nouvelle configuration, celle de l’ethnicisation des rapports sociaux dans de nombreux quartiers populaires en voie de “ghettoïsation” socioethnique, dans un cadre de recomposition et de complexification du contrôle social au sein des quartiers populaires, nous assistons à un processus d’ethnicisation et de racisation de l’intervention sociale. Nous entendons par ethnicisation et racisation des rapports sociaux le fait que les relations sociales ne s’établissent pas d’abord en fonction d’une appartenance à une “communauté politique” et citoyenne (nation), mais prioritairement, en référence, d’une part, à des “identités ethniques” spécifiques définies en termes socioculturels (culture, religion, langue, territoire, histoire commune, mode de vie) et, d’autre part, à des “identités raciales” basées sur des critères biologiques et phénotypiques. » (Extrait)
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