
(….) En quoi ces accords vous semblent-ils uniques ?
Parce que dans une médiation, le plus difficile n’est pas de trouver un accord, mais de faire asseoir les deux parties autour d’une même table. Après la violence, les morts, chacun redoute de se retrouver tant la peur de l’agression est forte. Ce que la mission de dialogue accomplit alors pour réunir, à Paris, les deux camps et leurs leaders, l’indépendantiste kanak (1) Jean-Marie Tjibaou et le loyaliste caldoche (2) Jacques Lafleur, est un modèle du genre. Rappelons que deux ans après, en 1990, il y aura la signature de la fin de l’apartheid entre Mandela et De Klerk, en Afrique du Sud. Pour moi, il y a une même intensité et vérité, rarement égalées dans l’histoire des grands conflits.
Tout comme la méthode de négociation…
C’était une méthode ou plutôt un état d’esprit très propre à Michel Rocard. Avec lui, c’était clair : j’enferme tout le monde à Matignon, dans la plus stricte confidentialité, et personne ne sort avant la signature d’un accord. Et avec une volonté essentielle : pour négocier, il faut d’abord une volonté de comprendre l’autre avant de vouloir le convaincre. Comprendre, c’est entendre ses besoins, ses valeurs, s’approcher de lui. Car, plus il y a de la distance, plus il y a de la violence. Plus il y a de la proximité, plus il y a de la tranquillité. C’est le gage d’une sortie honorable du conflit, où personne ne perd la face.
« Cette médiation dit beaucoup sur l’ouverture à l’autre »
Comme anthropologue, qu’est-ce qui vous fascine dans ce conflit ?
Appréhender cette histoire, c’est avant tout découvrir la richesse de la culture kanak. C’est plonger nécessairement dans le rapport à la colonisation dans ce territoire. Qui, il faut le rappeler, subit la violence constitutionnelle du pouvoir des colons, l’accaparement des terres dès le XIXe siècle. Raconter ces accords demande de comprendre toute une histoire pas apaisée, une relation douloureuse entre un peuple présent depuis 3 000 ans et ceux venus occuper leur île. Pour moi qui suis issu d’une famille de pieds-noirs algériens, cela avait de la résonance. Cette médiation dit beaucoup de choses sur l’ouverture à l’altérité, le respect des cultures et des coutumes, la reconnaissance de la souffrance, la capacité de pardon, le refus de la vengeance… Des questions qui reviennent souvent dans le lien de la France avec les territoires d’Outre-mer, comme aux Antilles actuellement. » -V. Parlan -(Extrait de ouest–france-fr du 5/12/2021)