
Si l’on se réfère aux autres pays européens le concept de Justice Restaurative (JR) est arrivé tardivement en France, mais il commence à trouver sa place comme en témoigne ce colloque organisé par l’université Lyon II et l’Association Nationale des Médiateurs (ANM). Toutefois, on peut se poser la question de la réception tardive de ce modèle de justice en France si l’on se réfère à la médiation pénale qui existe depuis le milieu des années quatre-vingt. Pourtant, la JR existe depuis le début des années quatre-vingt au Canada et aux Etats-Unis où elle a été théorisée par un mennonite Howard Zehr. Elle a connu un large développement dans les pays anglo-saxons et plus tardivement dans les pays francophones par l’entremise du Québec ou de la Belgique dans sa composante flamande sous l’impulsion de l’université de Leuven. Cette dernière est à l’origine, notamment, de la création du Forum Européen pour la Justice Restaurative.
S’il est vrai que la médiation pénale est une des formes de la JR, il faudra, toutefois, attendre la loi du 15 août 2014 pour que la France institutionnalise la JR dans le domaine pénal. Ceci ne veut pas dire que la JR n’existait pas, car comme le soulignait, l’un des participants au colloque, Jacques Dallest, « le procureur fait de la justice restaurative sans le savoir ! » (p.44). Cette remarque n’est pas anodine, car la JR, comme la médiation, est entourée d’un certain flou conceptuel, et on peut regretter qu’au cours de ce colloque universitaire, il n’ait pas été accordé une place plus grande à une réflexion épistémologique sur ce nouveau modèle de justice. En effet, au cours des interventions un certain nombre de concepts sont avancés comme celui de la « médiation transformative interculturelle » proposé par Clara Rigoni pour relater un projet scandinave sur la lutte contre les crimes d’honneur et les mariages forcés (p.118). Il en est de même des notions de « médiation locale », de la « médiation restauratrice », utilisées par Monique de Pauw pour dresser un panorama de la médiation pénale en Belgique.
Toutefois, l’intérêt de ce colloque est de relater un certain nombre d’expériences de JR, non seulement en France mais aussi dans certains pays européens, ce qui donne une certaine idée de la diversité des projets se rattachant à ce nouveau modèle de justice. La région Auvergne Rhône-Alpes a toujours joué un rôle de pionnier en matière d’expérimentation de nouvelles formes de gestion des conflits et c’est le cas aussi en matière de JR. Dans le cadre de ce colloque, deux expériences ont été présentées, la première est celle mise en œuvre dans le cadre du tribunal judiciaire de Lyon et qui porte sur des rencontres directes en phase pré-sentencielle entre des victimes et des auteurs d’infractions. Si les résultats sont plutôt positifs, comme le souligne, Nathalie Mazeau, vice-présidente du tribunal de Lyon et coordinatrice du projet en rappelant que les « auteurs et victimes ont témoigné au cours de l’audience leur grande satisfaction à participer à un processus de justice restaurative, même lorsque leur démarche s’est limitée à rencontrer le tiers indépendant » (p.53). En revanche, elle est plus critique sur les effets pervers de la circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la JR, qui « a freiné les ardeurs et rendu nécessaire un rétropédalage » (p.55). La deuxième expérience est celle de Valence, une ville aussi pionnière si l’on se réfère à une des premières expériences de conciliation/médiation, faisant appel à des habitants et mise en œuvre par deux magistrats : Georges Apap et Nicole Obrégo. A ce propos, on peut regretter une absence de repères historiques de la part des intervenants à ce colloque qui ont peu mis en perspective les expériences de JR par rapport aux autres formes de gestion des conflits dans le passé, comme la conciliation ou la médiation.
A signaler aussi la présentation d’une expérience de JR en milieu scolaire en Belgique par Joëlle Timmermans qui est aussi une pionnière de la médiation scolaire dans ce pays. Cette expérience se situe dans la lignée de dispositifs mis en place dans d’autres pays, plutôt anglo-saxons, comme le Royaume-Uni et qu’elle a dénommé « Concertation restaurative de groupe » (CRG). Ce dispositif a été mis en place dans la Région bruxelloise dès 2012 et il a été expérimenté dès 2012 dans une école secondaire professionnelle spécialisée « pour des élèves à besoins spécifiques vivant dans un quartier défavorisé et dont la majorité était issue de l’immigration » (p.106). Dans sa contribution Joëlle Timmermans décrit d’une manière précise le processus d’intervention qui est principalement basé sur la médiation tout en démontrant la spécificité du CRG. Elle souligne que ce processus d’intervention vise à la constitution d’un cercle impliquant de nombreux acteurs et pas seulement l’auteur et la victime. Les rencontres ont lieu au sein de l’établissement scolaire et elles ont pour objet d’élaborer d’une manière consensuelle « un plan de réparation à trois niveaux : personnel, interpersonnel et collectif » (p.111). Si la démarche est séduisante et efficiente puisque Joëlle Timmermans souligne que la résolution de certains conflits à « une influence sur le climat scolaire en général » (p.112), on peut se poser la question de savoir si les médiations de groupe dans les établissements scolaires ne s’apparente pas à la CRG. Il ne s’agit pas d’une question anodine et limitée au scolaire, car on assiste, depuis quelques années, à un engouement autour de la justice restaurative dans le domaine pénal, familial, scolaire,… sans que l’on puisse savoir, en raison de l’absence d’évaluation en la matière, si les dispositifs de justice restaurative sont supérieurs à ceux de la « médiation dite classique ». Ce pourrait être le sujet d’un prochain colloque…
Jean-Pierre BONAFE-SCHMITT