
La justice restaurative est à la mode depuis quelques années, comme en témoigne la publication de nombreux ouvrages sur cette question et surtout le film « je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry sorti en 2023. L’ouvrage de Juliette Gagneur présente la particularité, non seulement d’être centré sur les mineurs mais surtout l’autrice est une éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et elle nous fait partager, au fil des pages, son enthousiasme à l’égard de la Justice restaurative (JR). D’ailleurs son sous-titre « une utopie en marche » traduit bien cet état d’esprit et cela me rappelle bien ce même engouement de la part des éducateurs dans les années quatre-vingt à propos des premières expériences de médiation pénale à l’égard des mineurs.
Pour l’écrire elle a adopté ce qu’elle a appelé une « démarche de recherche » dans la mesure où elle nous fait cheminer au fil des pages dans sa découverte de la Justice Restaurative (JR) que ce soit dans sa lecture des écrits publiés sur ce thème que son immersion dans des pratiques de JR en France et en Belgique. Sa démarche de recherche commence par une interrogation sur ce qu’est la JR en consacrant sa première partie, intitulée « Genèse », à retracer l’histoire de ce nouveau paradigme de justice. En fait, comme le rappelle, l’autrice, la JR n’est que la redécouverte au cours des années soixante-dix « des pratiques ancestrales de régulation des conflits » comme celle des Inuits au Québec ou du peuple Maori en Nouvelle-Zélande ou en Australie. Pour ce faire, elle convoque les grands auteurs de l’époque et notamment Howard Zehr qui est un peu le fondateur de la « restorative justice ». On peut regretter que dans les rappels historiques, les auteurs d’ouvrages sur la JR, ne mentionnent pas toujours les racines religieuses de ce mouvement porté par les Mennonites sur le continent nord-américain. En effet, le concept de « restorative justice » n’est pas neutre, car il y a l’idée sous-jacente de restaurer un certain ordre ou harmonie sociale qui a été perturbé par la commission de l’infraction. Ceci-dit, il convient de souligner que Juliette Gagneur dresse un parfait état des lieux de l’institutionnalisation de la JR au fil des années avec notamment la loi du 15 août 2014 qui fonde sa reconnaissance, un peu tardive en France, si l’on se réfère aux pays anglo-saxons. Une fois de plus on constate en France la prégnance de la place de l’Etat dans la mise en oeuvre des principes de la JR avec la publication d’un certain nombre de textes que ce soit des ordonnances, des décrets ou encore des circulaires visant à encadrer les pratiques de JR. Avec cette JR judiciarisée on est très loin des principes fondateurs visant à redonner à la communauté le soin de gérer les infractions commises en son sein.
Dans la deuxième partie de son ouvrage « Les pratiques restauratives », on passe de la théorie à la pratique avec la présentation des différentes facettes de la JR allant de la médiation restaurative, aux conférences restauratives, en passant par les rencontres détenue/condamnés-victimes et sans oublier les cercles restauratifs. L’autrice souligne les multiples bénéfices de ces rencontres restauratives qui permettent d’avancer vers ce qu’elle appelle « un mieux-être restauratif » pour les participants à ces rencontres. Ce mieux -être se traduirait aussi bien sur le plan psychologique, en les amenant à « mieux comprendre la nature des sentiments de l’autre » (p.53), que physiologique, avec une diminution des troubles du sommeil, la consommation de produits toxiques… Une des résultantes de ces bienfaits serait aussi la diminution du taux de récidive avec la prise de conscience par l’auteur de l’infraction qu’il « appartient à la communauté humaine » (p. 54). Il est à noter que les partisans de la JR ont tendance à magnifier cet esprit communautaire qui caractérisait les modes traditionnels de règlement des conflits en essayant de le reconstituer dans les différentes formes de JR en associant des proches des victimes et infracteurs mais aussi des représentants d’associations d’aide aux victimes, des éducateurs, des enseignants… Pour vivre cette expérience de JR, Juliette Gagneur, n’a pas hésité à s’immerger dans un projet belge, celui du centre Guidance d’Actions Compensatrice, Educatives et Probatoires (Gacep) à Charleroi. Ce choix était judicieux car il faut reconnaître qu’en Europe la Belgique a joué un rôle pionnier dans le développement de la JR surtout dans la partie flamande avec l’université de Leuven/Louvain qui est à l’initiative de la création du Forum Européen de la Justice Restaurative. Au sein de cette structure, elle a pu observer des cas de « médiation restaurative » impliquant des mineurs qui représentent une des facettes de la JR. Dans sa présentation de cette forme de médiation qui s’apparente beaucoup au processus classique de médiation pénale, elle souligne qu’il s’agit d’une démarche volontaire et confidentielle faisant appel à un médiateur impartial tout en mentionnant qu’au sein du Gacep les praticiens utilisent « un qualificatif qu’ils considèrent plus adapté : la « multipartialité » ou « pluripartialité » (p.61). Elle définit le rôle du médiateur comme « une vigie de la communication » dans le sens ou il doit principalement faciliter la communication entre les parties pour les aider à trouver par elles-mêmes une solution à leur conflit.
Dans la description faite de ce processus, on a du mal à distinguer l’aspect novateur ou la valeur ajoutée de la médiation restaurative, car il s’apparente beaucoup au schéma d’une médiation pénale classique. Toutefois, elle nous donne des pistes lorsqu’elle indique que « l’éducateur doit se « déformater » de sa fonction d’éducateur, pour construire un nouveau socle de compétences professionnelles par de nouvelles techniques et méthodes propres au processus restauratif » (p.65). Pour elle, le médiateur doit mobiliser ses « qualités relationnelles, comme l’empathie, la bienveillance, la patience, mais aussi son éthique comme la non-discrimination, le respect des droits et libertés des personnes, principalement le non-jugement » (p.65).
En mettant l’accent sur les qualités relationnelles, Juliette Gagneur, se rapproche d’autres auteurs de la JR, comme Serge Charbonneau et Catherine Rossi qui proposent un modèle de médiation, basé sur l’approche relationnelle, qui serait différent des autres courants comme la médiation transformative, narrative ou encore la « négociation raisonnée »[1]. Tout en étant conscient de l’évolution des processus de médiation au fil des années et notamment de la médiation pénale qui a été rapidement instrumentalisée par l’institution judiciaire dans de nombreux pays, on peut se poser la question de savoir, si avec l’irruption de la JR on n’assiste pas à une lecture révisionniste du phénomène de la médiation ? En effet, comme nous l’avons déjà souligné le concept de JR date du début des années soixante-dix et à l’époque, on parlait de « victim-offender médiation » dans les pays anglo-saxons et de « médiation pénale » dans les pays francophones pour qualifier cette branche de la JR . A l’époque, la médiation s’était autonomisé de la JR et en constituait le pôle dominant. Si, on ne peut que soutenir les évolutions et les apports de la « médiation restaurative » qui apporte un souffle nouveau et régénérateur surtout dans le cas des mineurs. En revanche, on ne peut pas oublier qu’en France ce sont les acteurs du secteur la protection judiciaire, qui se sont opposés à la mise en place, en 1993, d’un dispositif de médiation pénale en direction des mineurs, au profit de « mesures de réparation ».
Ce rappel historique vise à souligner tout l’intérêt de la démarche de Juliette Gagneur, qui au sein de la PJJ, fait souffler ce vent nouveau, en soulignant les bienfaits de la « médiation restaurative » directe et indirecte, mais en mettant aussi en avant une autre dimension de la JR : « la conférence restaurative ». En effet, comme l’indique bien, le titre de la quatrième partie « La conférence restaurative : une mesure efficiente, innovante et bien adaptée au mineur infracteur » (p.95), l’autrice considère que l’adoption de ce type de conférence permettrait de renouveler les modes d’intervention, non seulement des éducateurs, mais aussi de l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs infracteurs. Dans l’élaboration de ce projet expérimental au sein d’une Unité éducative de milieu ouvert, elle s’est beaucoup inspirée de l’expérience du Gacep. A la différence de la médiation restaurative, il s’agit d’abord d’une « rencontre à l’audience élargie » dans la mesure où elle ne se restreint pas simplement à la victime et à l’auteur mais est ouverte à toutes les personnes impactées par l’infraction. Elle est organisée par deux personnes appelées « animateurs » et cette dénomination est variable car l’autrice parle aussi d’« animateurs-médiateurs » sans vraiment apporter de précisions sur ces variations sémantiques
L’autrice souligne que le déroulement de la conférence obéit à « un protocole restauratif » qui se décompose en trois phases dont la première consiste en la signature d’une convention pluri-partenaires par plusieurs acteurs regroupés au sein d’une Comité de pilotage (Copil) composé de représentants de la PJJ, des magistrats du siège et du parquet. Ce Copil peut aussi inviter à ces réunions des représentants du barreau, de la police, de la santé, de l’Education nationale… Le comité vise à fixer le « cadre de mise en oeuvre des mesures de justice restaurative à l’égard de des mineurs infracteurs » (p.99). La deuxième phase est centrée sur la préparation de tous les participants à la conférence, notamment le recueil du consentement des participants, mais aussi l’examen de l’éligibilité des participants à la conférence. Enfin, la dernière phase est celle du déroulement de la conférence qui est précédé par des « ateliers préparatoires » qui se déroulent sous forme d’entretiens individuels dont l’objet est de rendre possible le « dialogue » entre le mineur infracteur et la victime. Pour définir cette méthode spécifique qu’est le « dialogue », l’autrice s’est inspirée de « l’approche relationnelle » de Serge Charbonneau et de Catherine Rossi. La mise en œuvre de cette méthode se déroule sous la forme d’« ateliers de communications » avec des outils spécifiques comme « l’écoute attentive » qui serait différent de l’« écoute active », ou encore la « scénarisation de l’échange potentiel ».
Il est proposé que la conférence restaurative puisse se dérouler dans un lieu le plus neutre possible et offrant des garanties de confidentialité et de sécurité pour l’ensemble des participants. A cette réunion participe la victime, le mineur infracteur, mais aussi « les personnes dignes de confiance et les personnes impactées par les faits commis » (p.112). Le nombre de participants explique en partie que les conférences puissent durer entre quarante-cinq minutes et deux heures. Sur un plan pratique, la parole est donnée en premier lieu au mineur infracteur qui expose les circonstances de son passage à l’acte et puis à la victime qui exprime à celui-ci, l’impact de ces agissements sur le plan émotionnel, relationnel et matériel. C’est après ce premier dialogue, que les animateurs donnent la parole aux autres participants pour faire part de leur ressenti. A la suite de cet échange, le mineur infracteur et les personnes qui l’accompagnent se retirent dans une salle en vue de la préparation du « plan d’accompagnement restauratif ». Ce plan est élaboré avec l’aide des personnes-ressources et il s’articule autour de trois axes : une première série de mesures pour réparer le préjudice subi par la victime, une deuxième série de mesures en direction des personnes impactées et une troisième série d’engagement concernant le propre avenir du mineur infracteur. Le plan est ensuite présenté au « groupe victime » et discuté par l’ensemble des participants et donnera lieu à l’élaboration d’« un accord restauratif » qui sera soumis au magistrat compétent pour homologation. La dernière phase du processus de conférence restaurative consiste à une évaluation de son déroulement quelques mois plus tard pour vérifier si les résultats et les objectifs ont été atteints.
Comme on peut le constater, l’organisation d’une conférence restaurative est un dispositif lourd à mettre en œuvre impliquant de multiples personnes et mobilisant des moyens financiers importants. On peut se poser la question de savoir s’il fera l’objet d’une appropriation par les éducateurs et autres intervenants dans leur pratique quotidienne ou s’il sera peu utilisé comme dans le cas des mesures de réparation. Dans sa conclusion Juliette Gagneur laisse entrevoir ce risque mais elle reste persuadée que ce modèle restauratif est encore dans ces prémices et qu’il est prometteur… et seul l’avenir nous le dira.
Jean-Pierre BONAFE-SCHMITT
Lettre des Médiations
[1] Serge Charbonneau, Catherine Rossi « La médiation relationnelle. Rencontres de dialogue et justice réparatrice », L’Harmattan Collection : Criminologie, 02/07/2020, 196 p .
Ouvrage disponible sur https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/la-justice-restaurative-au-benefice-des-mineurs/2394
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