ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 OCTOBRE 2024
Mme [G] [V], domiciliée cabinet PDGB, [Adresse 1], a formé le recours n° N 24-60.091 en annulation d’une décision rendue le 5 décembre 2023 par l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel de Versailles.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, après débats en l’audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Mme [V] a sollicité son inscription sur la liste des médiateurs de la cour d’appel de Versailles dans les matières civile et commerciale.
2. Par décision du 5 décembre 2023, contre laquelle Mme [V] a formé un recours, l’assemblée générale des magistrats du siège de cette cour d’appel a rejeté sa demande.
Examen du grief
Exposé du grief
3. Mme [V] fait valoir que l’assemblée générale a violé l’article 2 du décret du 9 octobre 2017 en ce qu’elle s’est déterminée au regard de sa seule expérience professionnelle, alors que les conditions d’aptitude sont justifiées au regard de sa formation, dès lors qu’elle établit avoir obtenu le diplôme universitaire de médiation délivré par l’Ifomene, les conditions de formation et d’expérience n’étant pas cumulatives.
Réponse de la Cour
Vu l’article 2, 3°, du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 :
4. Il résulte de ce texte qu’une personne physique ne peut être inscrite sur la liste des médiateurs près la cour d’appel que si elle justifie d’une formation ou d’une expérience attestant l’aptitude à la pratique de la médiation. Il s’en déduit que l’assemblée générale doit procéder à une appréciation globale de l’aptitude du candidat à la pratique de la médiation, au regard de ces deux critères.
5. Pour rejeter la demande de Mme [V], l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel dit que les justificatifs produits à l’appui de la candidature ne permettent pas de retenir que celle-ci satisfait à la condition d’aptitude prévue au paragraphe 3° de l’article 2 du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017, en raison d’une pratique jugée insuffisante de la médiation.
6. En statuant ainsi, sans apprécier les mérites de cette candidature au regard du critère de la formation, l’assemblée générale a méconnu les dispositions du texte susvisé.
7. La décision de cette assemblée générale doit donc être annulée en ce qui concerne Mme [V].
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE la décision de l’ assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel de Versailles en date du 5 décembre 2023, en ce qu’elle a refusé l’inscription de Mme [V] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la décision partiellement annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l’audience publique du dix octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Cathala, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l’arrêt.
Les ouvrages sur la médiation se multiplient et je voudrais mettre en avant celui de Rolland Verniau et Jacques Révol, car il mériterait le prix de l’excellence en matière de vulgarisation de la médiation. Dans la préface, Pierre Grand écrit que « ce récit de médiation se lit comme un roman », et dans la même veine, j’ajouterai « il se lit comme un thriller ». En effet, dans chaque chapitre, il y a des rebondissements inattendus, l’irruption de nouveaux personnages,… qui ponctuent les 30 mois de son déroulement ce qui n’est pas commun pour une médiation. Et puis, il y a le style plein d’humour de Roland Verniau pour décrire cette médiation et notamment, cette jubilation, dans la manière dresser le portrait de ces personnages hauts en couleur qui peuplent cette médiation. Il dépeint aussi d’une manière très bucolique, les lieux du déroulement de l’action c’est-à-dire les fermes et villages du Beaujolais, ce qui rend ce livre très agréable à lire.
En effet, il s’agit d’une médiation qui se déroule dans le milieu agricole, ce qui n’est pas commun et elle oppose les associés d’un GAEC qui connaît de grosses difficultés financières. Tout commence, par une audience ordinaire au Palais de Justice de Lyon ou après un échange entre les parties et leurs avocats, les magistrats ordonnent une mesure de médiation. Mais le jugement présente la particularité de prévoir que « si dans le cadre de la médiation judiciaire les parties ne sont pas parvenues à un accord, elles peuvent convenir de poursuivre les discussions dans le cadre d’une médiation conventionnelle » (p.29). Une sage décision prise par les juges puisque la médiation a duré plus de 30 mois et nous sommes donc loin de la médiation judiciarisée avec ses deux fois trois mois. Cette durée tend à démontrer que la temporalité de la médiation dépend directement de l’évolution des échanges entre les parties et non du médiateur ou du juge prescripteur.
Avec une telle durée, on peut comprendre que les auteurs aient intitulé les premiers pas de la médiation « Le début du chemin » car celui-ci sera long. Dans un souci de proximité, mais peut-être pas de neutralité, la première séance médiation a été organisée au sein du Palais de Justice de Villefranche-sur-Saône qui était plus proche des domiciles des médiés. La première rencontre a réuni les trois associés, c’est-à-dire, d’une part les deux frères Roy, décrits comme « deux colosses, des forces de la nature » ; Et d’autre part Pierre Garçon le 3ème associé, mais celui-ci était accompagné de sa compagne. Ce fut la première péripétie, car les frères Roy s’opposaient à la présence de la compagne prétextant qu’elle n’avait pas le statut d’associé.
Cet incident est assez révélateur de la nécessité pour les médiateurs de s’interroger sur le rôle de certains acteurs que je qualifie d’« indirects », comme, en l’espèce, la compagne de l’une des parties, car ceux-ci peuvent, non seulement influencer mais surtout risquent de faire échouer le processus de médiation. A travers cet exemple, on peut constater l’aspect systémique de la médiation qui ne se limite pas simplement aux acteurs « directs », c’est-à-dire les participants à la médiation, mais à tous ces tiers qui peuvent avoir une influence directe ou indirecte sur le processus de médiation, comme les avocats, les membres d’une famille, mais aussi les compagnies d’assurances, les organismes sociaux… Un accord fut rapidement trouvé par le médiateur qui proposa que Noëlle Pilar soit présente mais à la condition posée par les frères Roy « qu’elle ne parle pas, ce n’est même pas la femme de Garçon » (p.36).
Dans cette médiation qui prenait une dimension collective, les auteurs abordent aussi une question importante celle de la co-médiation. En effet, devant la difficulté de gérer le processus, non seulement en raison du nombre de participants mais aussi du blocage de la communication entre les parties, le médiateur c’est-à-dire Rolland Verniau, fait appel à un second médiateur, Jacques Revol, le co-auteur de l’ouvrage. Avec son humour habituel, il le décrit comme un « personnage truculent. Eté comme hiver, il marche avec des sandales » et qui « porte bien son prénom » puisqu’il a fait plusieurs fois le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (p. 51). Comme le dit si bien, Rolland Verniau, ils sont maintenant « Deux sur le chemin », ce qui, dans les faits, ne sera pas un luxe puisque la médiation a duré plus de deux ans. La narration de ce cas démontre bien que la médiation n’est pas un processus formel et linéaire et que sa plasticité permet en fonction des circonstances de l’adapter à l’évolution de la situation, comme dans le cas présent, l’appel à un second médiateur.
Accompagné de son « médiateur humaniste » , comme Jacques Revol, aime se présenter, les deux « compères » vont développer une stratégie en matière de gestion du processus de médiation qui s’écarte du schéma classique souvent présenté dans les manuels de médiation. Le premier point que je tenais à souligner est celui d’un déplacement sur les lieux, en l’espèce les fermes des associés en conflit. Pour eux, il était important de « s’immerger dans l’environnement de ces familles de paysans pour tenter de comprendre leur conflit. Pourquoi une telle haine » (p.67). L’organisation de cette rencontre séparée sur les lieux a eu un résultat positif car elle a permis, à Maurice Garçon, l’un des associés, qui s’était enfermé dans un mutisme lors des précédentes rencontres de libérer, non seulement sa parole mais aussi ses émotions. Ces déplacements sur les lieux ont permis de créer un lien de confiance entre les médiateurs et le médiés ce qui a facilité le déroulement de la médiation par la suite.
Le deuxième point est celui de la temporalité de la médiation et des lieux de son déroulement. Dans ce type de médiation, en raison des distances et du nombre de participants, l’échelonnement des dates de rencontres comme la durée des séances obéit à des règles qui sortent du schéma classique des médiations. Il en est de même des lieux car les médiateurs ont jonglé en fonction des déplacements entre des locaux mis à la disposition par la mairie où se situaient les fermes et la salle du conseil de l’ordre des avocats.
Le troisième point est celui des acteurs mobilisés au cours de la médiation et surtout leur multiplicité. Tout d’abord, les médiateurs ont mobilisé les avocats des médiés car la dissolution d’un GAEC n’est pas une mince affaire et nécessite des compétences particulières qui ne relèvent pas de celles de médiateur. Et comme, les auteurs le soulignent « les avocats ont été à la manœuvre, comme nous leur avions demandé, pour réfléchir aux aspects techniques et juridiques d’une telle opération » (p.80). Au-delà des aspects techniques, les médiateurs, en donnant la parole aux avocats, voulaient démontrer leur volonté qu’ils soient « co-constructeurs de la médiation » et « surtout rassurer et sécuriser leurs clients sur les impacts que cette dissolution allait provoquer » (p.80). Ensuite, les médiateurs pour avancer vers une solution ont aussi mis à contribution un expert agricole pour procéder à « l’évaluation des actifs du GAEC, hors immeuble » (p.88).
Les médiateurs ne se sont pas contentés de traiter les aspects techniques de la dissolution du GAEC mais ils ont aussi pris en charge, les aspects relationnels et émotionnels. C’est l’avantage d’une co-médiation car si Rolland Verniau qui est avocat s’est surtout chargé de la dimension juridique, il a laissé à Jacques Revol, l’aspect humain de l’affaire. C’est donc le « médiateur humaniste », « féru de cet exercice » qui va demander à chacun d’exprimer sur une feuille de papier « ses besoins essentiels » des « plus pragmatiques aux plus intimes » (p.90). L’un note en majuscules « BESOIN DE COMPREHENSION », un autre, « J’ai besoin qu’on nous comprendre ». C’est tout l’intérêt de la médiation de ne pas se limiter à la partie immergée de l’iceberg c’est-à-dire la dissolution du GAEC, mais d’aborder l’ensemble des aspects relationnels et émotionnels liés au conflit.
Le quatrième point à mettre en avant, dans cette médiation, est la technique de « l’accord partiel », utilisée par les médiateurs pour marquer l’avancée des discussions mais aussi créer une dynamique en vue de parvenir à un accord final. Ainsi, il y eut, non pas, un mais trois accords partiels au cours de la médiation ce qui n’est pas courant, mais qui s’explique en grande partie par la durée de la médiation. Ces accords partiels ont ponctué les différentes étapes de la médiation comme par exemple celui-ci ou il est mentionné : « les parties sont d’accord pour que les médiateurs mandatent en leur nom Maître Maurice Picard pour qu’il soit le liquidateur amiable du GAEC (…) » (p.106). Si j’ai reproduit cet extrait de l’accord, c’est pour souligner l’émergence de ce nouvel acteur dans le processus de médiation : l’administrateur judiciaire. C’est une nouvelle preuve de la plasticité de ce mode de gestion des conflits qui s’adapte à chaque évolution de la situation au fur et à mesure de l’avancée des discussions entre les parties. Il ne s’agissait pas d’un acteur anodin puisqu’il était présenté comme central par les auteurs « sans lui, il n’y aurait jamais eu d’accord. Il fut pour nous le troisième médiateur » (p.114).
Dans cette phase d’élaboration de l’accord, un autre acteur a été invité à participer au processus de médiation, la banque du GAEC, en raison de l’existence d’un passif important de l’ordre de 300 000€. La mobilisation de ce nouvel acteur représente une nouvelle démonstration de la dimension systémique de la médiation dans la mesure ou des acteurs indirects, des tiers, comme la banque du GAEC, vont être insérés dans le processus de médiation. L’intervention de ce nouvel acteur a été actée dans un accord partiel « Les parties sont accord pour que les médiateurs prennent contact avec la banque pour engager une négociation en vue d’une réduction significative de la dette du GAEC de la banque (…) » (p.106). Si j’ai reproduit cette partie d’accord, c’est que l’on assiste à un changement de posture des médiateurs dans le sens où ils vont devenir des négociateurs pour le compte des médiés. Les « puristes » de la médiation, à juste raison, vont s’insurger contre ce changement de statut car il est contraire aux règles déontologiques. Les auteurs en ont conscience puisqu’ils écrivent que « nous sommes seulement négociateurs dans cette affaire et non plus médiateurs » (p.131). Mais, ce changement de casquettes, même s’il a pris la forme d’un accord de la part de l’ensemble des participants, pose le problème plus général des médiateurs cumulant plusieurs fonctions comme celle d’avocat, d’expert judiciaire,… et démontre que le processus de médiation n’est nullement figé mais est encore en construction.
Comme cette médiation s’apparente à un véritable roman, je ne dévoilerai pas le résultat des négociations avec la banque, ni l’accord final pour encourager les médiateurs confirmés à lire l’ouvrage de R. Verniau et J. Revol car le style imagé et humoristique leur fera passer un bon moment. Outre la forme, l’ouvrage est une véritable étude de cas dans un domaine peu abordé celui du monde agricole. Enfin, je conseille la lecture de l’ouvrage à tous ceux qui ne connaissent pas ou peu la médiation car il permet de s’informer sur ce mode de gestion des conflits d’une manière ludique.